Se souvenir d’une ville
Un montage de films réalisés pendant le siège de Sarajevo(1992-1996), suivi des commentaires de leurs cinq auteurs. Fragments de vies mutilées par l’effondrement du monde yougoslave, témoignages d’existences en suspens et du front, des reconstitutions parfois, des vidéos festives aussi, et l’énergie de tourner malgré les pénuries. Dans ces captations de jeunes gens face au quotidien aberrant et désastreux, on peut entendre : « Il faut filmer », « Arrête de filmer » ou « Pourquoi filmer ? » Périot, qui cherche toujours à travers l’archive une autre façon de voir et dire l’Histoire, affiche son dispositif : une équipe légère suit les réalisateurs qui déambulent dans la ville ou alentour, là où la mort rôdait .En revoyant leurs images, ils relativisent le courage(tenir une caméra était cependant aussi dangereux qu’avoir une arme),décrivent la brutalisation des comportements et du regard, expliquent avoir filmé avant de comprendre. Les jours terribles vus par le petit bout de l’œilleton, à l’encontre des discours simplistes, totalisants ou surplombants. À l’appui de cette approche « micrologique », une éthique de la pudeur : hors champ certaines émotions post-traumatiques, tandis que le tournage ravive les pires souvenirs. Les horreurs qu’il a enregistrées et parfois effacées hantent Nedim Alikadić (auteur de Self Réfection, 2015) car toute guerre perdure en ceux qui l’ont subie. Srdan Vuletić (C’est dur d’être honnête, 2007) sait qu’un film est une construction : si l’archive n’est pas la vérité, il y a en elle de la vérité, et un appel à la contextualisation, au déchiffrement. Smail Kapetanović, qui met en ligne, à la disposition de tous, les images d’alors, souligne que « l’Histoire est maîtresse de la vie ». Ces hommes se souviennent que filmer signifiait être vivant.
Nicolas Geneix
Positif
Novembre 2024